Depuis l’élection d’IBK à la tête du Mali, nous avons vu le processus de négociation reprendre avec les différents groupes armés, indépendantistes du Nord (MNLA, HCUA). Cette reprise des négociations est saluée par tous les observateurs internationaux. En effet des groupes armés en guerre depuis un an, qui se mettent autour de la table avec le gouvernement honni pour trouver une solution pacifique à la crise quoi de plus beau ?
Quand on est « un vieux routier » de la vie politique malienne, et surtout des soubresauts du nord du Mali, il n’y a strictement rien de surprenant dans ce cinéma qui a lieu dans les grands hôtels de Ouagadougou et Bamako. J’avais annoncé ici même il y a un an de cela que les revendications du Mnla étaient basées sur rien de solides, du fait des gens qui les portaient.
En effet dès janvier 2012 au début de la crise, à Bamako l’expression était « Encore une rébellion que veulent-ils ?».
Les envolées lyriques de Pierre Boilley, Moussa Ag Assarid, Ag Attaher et autres sur les chaines françaises et magasine comme l’Express, généreusement naïfs, conduisant à bâtir un mythe celui de l’homme bleu mal traité par le brutal bambara du sud, serviront à asseoir l’idée d’indépendance dans la tête de l’opinion publique. Le 6 avril le désormais banni du Mnla Moussa Ag Assarid ira jusqu’à déclarer l’indépendance de l’Azawad sur les antennes de France 24 toujours disponible évidemment.
Il s’agissait ni plus ni moins, et sans vouloir occulter les difficultés du nord, de ce que l’on appelle une rébellion classique. Les principaux acteurs de la rébellion sont des combattants libyens, qui étaient au service de Kadhafi pendant plus de 20 ans. Soudainement rentrés, après avoir martyrisé les libyens, les voila fous d’amour pour ce nord Mali. Un peu trop beau pour être vrai. Comme souvent la rébellion avait pour objectif, non pas d’obtenir une amélioration du niveau de vie, plus de développement, mais plutôt la négociation d’intérêts particuliers.
Lorsque l’on discute avec des personnalités ayant eu à faire aux rebelles des années 1990, on se rend vite compte que la rébellion est un moyen rapide pour faire fortune. Il est arrivé très souvent que des rebelles en besoin d’argent aillent menacer le Président de la République (Un ancien dont on taira le nom) de reprendre les hostilités, s’il ne leur donnait pas quelques billets. Et ils ressortaient avec quelques valises. Il est également arrivé que des rebelles envoient une liste au ministère de la fonction publique avec des noms, des prénoms de rebelles, et les grades souhaités. Et malheur au ministre qui refuse.
Un autre exemple du chantage à l’élection, se déroula en 2009 et plus précisément à Tarkint, la commune chère à Baba Ould Cheik accusé dans l’affaire air cocaïne, et homme des négociations dans la libération d’otages. L’élection de 2009 s’est déroulé à Tarkint dans un climat de tension entre les arabes et les touaregs, tensions qui s’étaient accrues du fait du mauvais partage de la rançon versée pour les 2 otages canadiens, cette crise entre Arabes Telemsi, Kounta et Touaregs concernaient également deux bandits notoires membres du Mujao Sultan Ould Badi and Alassane Ould Mohamed recemment évadé d’une prison au Niger.
Le 3 mai 2009 Ibrahim ag Mohamed Assaleh déclara qu’il était prêt à entrer en guerre avec les telemsi qui avaient réclamé l’annulation de l’élection, si la cour de Mopti leur donnait raison, il déclara même être en contact avec Ibrahim Ag Bahanga chef rebelle, alors en Libye. Ces élections locales opposaient Ould Mataly (proche du MAA) , Baba Ould Cheick (proche de Belmoktar) et Ag Assaleh (membre du Mnla). Ce dernier avait accompli plusieurs missions de médiation à la demande de Mamy Coulibaly de la SE afin de faire libérer des otages et notamment les australiens, il était donc très bien introduit.
Le chantage à la rébellion a donc toujours existé au Mali et s’est développé au fil des temps, mais en janvier 2012 il va prendre une tournure différente à cause de plusieurs événements tout d’abord un président en fin de mandat n’ayant pas la volonté nécessaire de prendre l’événement avec sérieux, le coup d’Etat militaire en mars 2012, mais aussi la présence de groupes jihadistes Aqmi, AnsarDine, Mujao.
La combinaison de ces facteurs a conduit le Mnla a occupé des villes au nord du Mali après la déconfiture de l’armée chose que les rebelles n’avaient jamais réussi à faire en 50 ans. Et malgré ses griots, la communauté internationale fut obligée d’admettre que les sympathiques hommes bleus avaient bien pactisé avec le diable pour essayer de conquérir le nord du Mali. Comme l’appétit vient en mangeant, les rebelles en sont arrivés à vouloir administrer le nord, à mettre en place un gouvernement, une administration.
Le brutal rappel à la réalité viendra tout d’abord du comportement des « libyens », qui une fois arrivés dans la ville de Gao (la plus peuplée) se mirent à violer des femmes, à battre des Bellahs (Ethnies de descendants d’esclaves touaregs); puis des manifestations de jeunes à Gao, qui préféraient le Mujao au Mnla c’est dire…
Pour des gens qui prétendaient libérer un territoire, se faire rejeter par la majorité de la population est comme une piqûre de rappel, et le mois qui suivi le Mujao, AnsarDine et Aqmi, finirent par expulser tous les combattants du Mnla des grands villes du Nord.
La réaction de la population n’a pas surpris les représentants politiques du Mnla, ce sont des gens qui connaissent le nord du Mali, ils ne s’attendaient pas à être accueillis en libérateur, l’occasion d’occuper les villes s’est présentée, ils l’ont saisie.
L’objectif politique plus ou moins caché du Mnla était d’obtenir le plus de territoire, pour avoir un poids plus fort dans les négociations à venir avec l’Etat malien, il n’a jamais été question d’indépendance, et si d’ailleurs on soumettait cette proposition par référendum au Nord, elle serait rejetée.
Toute la difficulté dans cette stratégie est que le Mnla est traversé par différents courants, les poids lourds sont ce que j’appelle des rebelles classiques, orientés plus vers des négociations avec Bamako pour obtenir un certains nombres d’avantages, quitte à ce que cela soit sur un plan personnel, puis la ligne dure composée des plus jeunes, mais aussi de ceux qui n’ont pas mis les pieds très longtemps sur le terrain, comme Ag Assarid, Moussa Ag Acharatoumane, , Ag Mohamed qui eux militent pour l’indépendance, rien que ça.
Les événements de ses deniers jours marquent le retour de l’adage cher à un connaisseur de ses dossiers « Rébellion classique, solution classique ». Ainsi on se dirigee vers une résolution de la crise classique.
Cette vision va rapidement se heurter au principe de réalité, avec tout d’abord une armée peu encline à réintégrer les déserteurs, comme cela a souvent été le cas, mais aussi à la division au sein du Mnla, avec une frange qui se radicalise petit à petit.
Les cadors du mouvement sont de plus en plus décriés, pour avoir abandonné, l’idée d’indépendance, pour ne plus être de farouches défenseurs de l’autonomie et pour avoir un peu trop crié leur appartenance au Mali. Ainsi Moussa Ag Acharatoumane, déclarait à propos de la mission d’Ibrahim Ag Assaleh à Bamako « C’est une honte et une haute trahison de nos principes et de nos populations. Ce qui se dessine à Bamako est inacceptable et inadmissible pour nous« .
Ce mouvement d’humeur est perceptible également dans les rangs des combattants, mais aussi au sein du club des jeunes MNLA basé au Burkina qui s’en est pris directement à Bilel Ag Cherif. Quand on est bien caché à Ouagadougou ça donne du courage…
Les dissensions existent aussi au sommet du mouvement avec le songhay de service Djeri Maiga vice –président du Mnla, qui ne voulait que l’indépendance, et le pauvre ne s’est toujours pas rendu compte de son rôle de faire valoir.
La présence à Bamako de Ibrahim Ag Mohamed Assaleh, Mohamed Ousmane Ag Mohamedoune (Chargé des Chefferies Traditionnelles et de l’Autorité Coutumière du CTEA), Mohamed Zeyni Aguissa Maiga (Chargé de l’Eau du CTEA), Ahmed Dicko (membre du MNLA), Ahmada Ag Bibi (membre du HCUA), Mossa Ag Chikode (membre du HCUA) avec l’accord tacite de Ag Intalla et Ag Cherif marque le retour du canal de négociation classique, c’est-à-dire offrir des avantages aux chefs rebelles, promouvoir quelques projets de développement, et trouver des activités aux hommes armés.
Cependant la faillite de cette méthode par le passé produit des résistances du coté de certains rebelles et doit nous amener à revoir cette stratégie, car elle laisse en chemin des éléments qui peuvent s’avérer être nuisibles par la suite. Les questions de fonds ne sont pas sur la table, et notamment celle de la gouvernance locale. Car OUI le Mali a investi beaucoup d’argent au nord, mais rien de concret n’a été construit du fait de la corruption, et OUI la question du vivre ensemble doit se poser. N’oublions pas qu’une frange du Mnla la plus dure se bat car elle ne conçoit pas d’être dirigée par des noirs.
Enfin la justice passe actuellement au dernier plan, à ce rythme elle ne sera pas rendue aux morts d’Aguelhok, aux femmes violées, mais aussi aux victimes d’exactions. Tous ceux en négociation à Bamako font l’objet de mandats d’arrêt et ont perdu leur immunité diplomatique, la paix que nous sommes en train de gagner se bâtira sur l’injustice.
Pour une paix durable il faut un langage de vérité, pour l’instant seul le langage classique du chantage à la rébellion prime, « Je veux ceci, ou je me rebelle ».
Les voix qui s’élèvent aujourd’hui au sein du MNLA contre leurs chefs, sont l’expression d’un sentiment légitime, celui de s’être fait floué ( Eh oui). Après le rêve vient le moment du réveil et de la confrontation avec la dure réalité, celle du terrain. Il n’y a jamais eu une envie d’indépendance chez les populations du nord, personne n’a mandaté le Mnla pour défendre cela, et leurs chefs vont d’abord penser à leurs intérêts personnels avant tout. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant qu’ils reprennent leurs mandats de députés et maires…Pauvre Daniel Tessougué !