Que penser de l’interview du Président IBK?

Le Président de la République du Mali Monsieur Ibrahim Boubacar Keita a accordé une interview à la télévision nationale, au cours de laquelle il a évoqué essentiellement la situation sociopolitique du Pays. ibkEn effet depuis le mois de juillet et l’annonce du Référendum portant sur la révision de la Constitution du Mali, le Président fait face à une forte opposition d’une plateforme composée de partis politiques et de groupements de la société civile. De plus au mois d’aout les choses ont commencé à se dégrader avec la présumée tentative d’assassinat d’un des membres de la Plateforme Madou Kanté, et le retour d’un autre activiste Youssouf Bathily, condamné à un an de prison, qui a mobilisé un millier de jeunes dans les rue de Bamako.

Ras-Bath-Bathily

Le Président de la République intervient également au moment où, les partisans de la réforme Constitutionnelle, à savoir la majorité a déjà perdu la bataille de la rue et des arguments. Il ne se trouve plus personne pour aller défendre le projet, et le référendum qui devait être organisé le 9 juillet 2017 a été reporté sine die, mais pas abandonné. La Plateforme maintient donc la pression sur le Président afin de le pousser à abandonner, ce qui serait un tour de force considérable à un an de la Présidentielle.

Face à la situation, le Président a repoussé le referendum pour se donner le temps de faire le « travail » convenablement, c’est à dire consulter les grands ordres de la Nation. Depuis trois semaines maintenant il consulte à tour de rôle, explique le projet et fait de la pédagogie. Cela aurait sans doute du être la première étape avant de se lancer dans le débat.

Concernant la réforme Constitutionnelle, le Président a avancé l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali qui demande la mise en place d’un Sénat qui permettrait d’intégrer les chefferies traditionnelles dans les instances de discussions. Cependant c’est oublier de dire que le problème ne se situe pas au niveau de la participation de ces dernières à l’exercice du pouvoir, mais aux modalités. Le fait que ce soit le Président de la République qui désigne 1/3 des sénateurs est le point de blocage essentiel. Une solution aurait été de proposer à la place du « Sénat » un conseil des sages de la Nation, composé d’une cinquantaine de membres, qui opèreraient bénévolement, et qui seraient consultés sur toutes les questions de la Nation. Pour ne frustrer personne, l’ensemble des chefferies traditionnelles, religieuses et coutumières du Mali sont connues, les postes pourraient donc etre rotatifs. D’autres articles également font l’objet de contestation.

 La séquence politique à ce niveau n’est pas très réussie, s’il a montré par son attitude une certaine sérénité, son intervention n’a pas été de nature à mobiliser son camp ou à calmer les tensions, bien au contraire elle a radicalisé l’opposition qui désormais lui a fixé un ultimatum pour retirer le projet.

Enfin le Président s’est ému du sit-in organisé devant l’Ambassade de France par certains mouvements de la société civile pour dénoncer « la partialité » de la France, qui selon eux soutiendrait ouvertement la CMA dans sa lutte fratricide contre le Gatia. Il a rappelé l’appui de la France en janvier 2013, mais aussi dans la mise en place du G5 sahel. Ce message est surtout adressé à la France et a vocation à la rassurer quant aux intentions des autorités maliennes. manif franceIl a vocation également à empêcher que ce mouvement ne s’amplifie. Sur le terrain-là il a raison de vouloir ménager ses alliances, même si dans les coulisses du pouvoir on ne se prive pas de critiquer certaines positions adoptées par ce pays ami. Sur ce point-là il n’a pas d’emprise réelle, car la dénonciation des interventions de la France dans ses anciennes colonies est générale et ne se limite pas au Mali. Le risque  de cette position est d’apparaitre comme étant un Président soutenu par la France pour protéger ses intérêts. Ce débat existera toujours, et il n’y peut pas grand-chose.

Globalement, le Président a voulu montrer l’image d’un homme au fait de la situation politique du pays, qui refuserait de se plier au diktat de la rue, mais dans des démocraties plus abouties que la nôtre, nous avons vu la rue faire plier des régimes bien plus solides. Au fond, ce que les maliens attendent surtout de lui c’est d’apporter des solutions qui garantissent l’unité nationale et la concorde, et qui prennent en charge les besoins des communautés en souffrance.

 

La nouvelle Constitution est-elle une réponse à la crise démocratique au Mali?

Le processus de modification de la Constitution de 1992, a connu une nouvelle avancée en ce mois de juin 2017. Après un travail de la commission de révision de la Constitution dirigée par le Ministre de la Justice Konaté, le texte des experts a été transmis à la Présidence.

A ce niveau il y a eu des amendements au texte par un petit comité qui aurait selon divers sources requis l’appui d’un constitutionnaliste français. Le texte a ensuite été soumis à l’Assemblée qui après de légers amendements a voté le texte, place au referendum pour le 9 juillet 2017.

Le processus en tout aura duré environ 9 mois et s’est inspiré des travaux réalisés par la précédente commission dirigée par Daba Diawara à l’époque du Président ATT.

Pourquoi fallait-il modifier la Constitution ?

Tout d’abord, la crise de 2012 est une crise éminemment politique avant d’être sécuritaire. Notre système politique et démocratique s’est effondré et n’a pu assurer la stabilité et le développement du pays. Au contraire c’est l’injustice et la corruption qui a touché toutes les couches de la société, ce qui nous a menés dans une crise multidimensionnelle.

 Alors un texte en lui-même n’est pas capable de résoudre cette crise, c’est la manière dont les acteurs politiques l’appliquent qui importe. L’Assemblée nationale, chambre représentative de tous les maliens a montré ses limites, elle n’a jamais joué son rôle et s’est contentée d’être une chambre de validation. Est-ce la faute de la Constitution ? Non, c’est la faute des hommes. Nous avons échoué à utiliser la Constitution de 1992 pour créer des institutions solides pour garantir, l’égalité, l’équité, la justice et la bonne gouvernance seuls gages de l’essor national.

Souvenons-nous également qu’en 2012, quand les langues se sont déliées, on n’hésitait plus à parler de démocratie de façade au Mali. Or la Constitution de 1992 contient les éléments du renforcement des institutions et mettait en place une séparation des pouvoirs qui devaient permettre d’atteindre un certains nombres d’objectifs.

Cette révision de la Constitution est d’abord un aveu d’échec pour ceux qui la portent et qui nous ont dirigé pendant 20 ans, pire plutôt que de faire une introspection et d’apporter une réelle réponse à la crise démocratique, le choix de la facilité a été fait. Il consiste à dire que la crise de la démocratie malienne n’est pas le fait des politiciens, mais c’est à cause de la Constitution qui était imparfaite.

L’autre aspect est lié à l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger qui préconise la mise en place d’une deuxième chambre, dans le but de permettre une meilleure représentativité des populations du nord, et des autorités traditionnelles. Il faut rappeler que l’objectif de cette deuxième chambre est de favoriser la promotion des objectifs de l’Accord !

Il fallait donc nécessairement modifier la Constitution, pour créer cette nouvelle institution, mais comme pour l’Assemblée nationale, l’équation est la même : qu’en ferons-nous ? S’il s’agit d’élire des gens qui vont se tourner les pouces pendant leur mandat, le sénat ne constituera pas une réponse à la crise malienne.

Les pouvoirs du Président renforcés ?

Alors on entend çà et là qu’il y a un renforcement des pouvoirs du Président, en réalité ce renforcement est dans le texte, on ne fait que mettre des mots sur la pratique habituelle du pouvoir Présidentielle dans ce pays.

 Le Président est déjà l’alpha et l’Omega de la politique malienne, depuis 1992 aucun d’entre eux n’a eu à craindre quoique ce soit du pouvoir législatif et judiciaire tant ils étaient en « phase » avec le pouvoir, c’est notre pratique de la démocratie, on la confirme en la mettant noir sur blanc.

Un nouveau mode de révision de la Constitution 

Hormis pour les modifications concernant la durée et la limitation de mandat, il ne sera plus obligatoire de passer par un référendum pour modifier la Constitution. Là encore c’est l’exemple de faux débats, que l’on s’impose. En quoi l’introduction de cette souplesse va-t-elle permettre un renforcement du système démocratique malien ?

Conclusion.

Les difficultés de la Constitution de 1992 ne sont pas liées au contenu, mais à la pratique démocratique sur 25 ans mise en place par les acteurs majeurs de la scène politique actuelle, majorité et opposition comprise. Ce sont eux qui ont échoué à mettre en place les Institutions, garantissant les droits fondamentaux de chaque maliens.

La nouvelle Constitution, n’est ni bonne, ni mauvaise, elle remplira son objectif principal, c’est-à-dire créer une deuxième chambre conformément à l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger.

Sur le fond ce qui compte c’est la manière dont le peuple, et les Institutions interagissent pour garantir la promotion de l’intérêt général et non des intérêts claniques.

Dans ce texte il n’y a pas de révolution, le Mali ne se portera pas mieux le 9 juillet 2017, par contre il y a un combat à mener, et il doit être fait par les citoyens de ce pays,  c’est mettre les Institutions au-dessus des hommes et non l’inverse, si dans l’avenir le Sénat et l’AN en parlement se comportent comme la pratique actuelle le promeut, tous ces débats auront été vains.

Parlons donc de pratiques politiques et démocratiques, plutôt que de tomber dans le piège qui nous est tendu, et qui veut que nous passions le plus clair de notre temps à mener des débats de juristes du dimanche.