(2)Interroger et reformer notre démocratie

La période de transition s’ouvrant constitue une occasion nouvelle offerte aux maliens d’interroger le système démocratique offert après la révolution de 1991. Ce sujet fondamental nécessite un débat approfondi, afin de corriger les manquements qui ont conduit aux coups d’Etat de 2012 et 2020.

Le Mali est une jeune démocratie. Ce régime politique est une nouveauté sur des territoires où prédominaient des pouvoirs héréditaires parfois de droit divin, auxquels ont succédé l’administration coloniale et l’Etat post-colonial. Le pays ne peut donc se prévaloir de la même expérience que certaines démocraties ayant plusieurs siècles d’existence.

Il convient de rappeler que la révolution de 1991 est le fruit de la lutte du peuple. Ce dernier a donc opté pour un modèle où il serait entendu à travers le choix libre de ces représentants par le biais d’élections transparentes et l’érection d’institutions démocratiques. Dans ce système les élus ont pour mandat d’exercer le pouvoir au nom de la population dans le souci du bien public et de l’intérêt général.

  • Elections

L’élection peut être pris comme un des critères d’évaluation de la marche démocratique d’un pays. Lors des premières présidentielles de 1992, Alpha Oumar Konaré a été élu avec 600000 voix et un taux de participation proche de 22%. En 1997 le taux de participation était de 29% et le même a été élu avec 1 millions de voix. En 2007 ATT a été élu avec 1.6 millions de voix et une participation à 38%. En 2013 la participation était de 48% avant de retomber à 42% en 2018. A titre de comparaison au Bénin il était de 64% en 1991, et de 88% en 1996. Mathieu Kerekou a obtenu plus de voix en une seule (2001) élection que AOK en deux.

Les législatives n’ont pas connu une participation supérieure à 35% quand elles n’ont pas été tout simplement annulées comme en 1997. En 2002, 1 200 000 cartes d’électeurs n’avaient pas été retirées. En 2007 le taux de participation était de 33% En 2020 elles ont été fortement contestées et ont en partie conduit au renversement du Président IBK.

Le principe démocratique veut que l’élu soit représentatif de la population. Si l’on s’appuie sur la présidentielle de 2018, IBK a été élu avec 1 798 632 voix. Cela représente 21% des inscrits et 8% de la population totale. Arrivé second Soumaila Cissé lui représente en poids des inscrits 10% et en poids de la population totale 4%.

Depuis l’avènement de la démocratie aucun Président n’a été élu avec une majorité d’inscrits. Les maliens boudent les élections. Par ailleurs chaque élection a été marquée par des accusations de fraudes sur le fichier électoral, de bourrages d’urnes et des achats de vote.

Il faut donc s’attacher à régler la question de la participation des citoyens au choix de leurs représentants. Sa faiblesse pourrait s’expliquer d’une part par les barrières administratives, mais aussi par un désintérêt des populations accentué par l’émergence de pratiques politiques qui ont pu conduire à une rupture entre l’élu et l’électeur.

Le manque d’instruction peut aussi être considéré comme un frein à une participation politique plus active, mais il ne peut expliquer à lui seul le désintérêt des populations pour le scrutin. Cette catégorie de population a d’ailleurs été ciblée par les programmes expliquant les droits politiques et incitant à participer aux élections. On peut prendre pour exemple l’émission « A nous la citoyenneté » ou d’autres programmes similaires diffusés sur les TV et radios locales.

  • Représentativité sociologique

Par ailleurs, la question de la représentativité ne doit pas uniquement se poser en termes de suffrages exprimés mais aussi en terme sociologique (revenus, classe sociale…). Or on note du fait de la pratique politique depuis 1991 l’émergence d’une « bourgeoisie politique » avec des « entrepreneurs politiques » propulsant l’argent comme la clé d’intégration dans le milieu politique. De ce fait les populations ne sont pas vraiment représentées dans leur diversité. Une véritable ploutocratie s’est installée avec une noblesse politique qui concentre les pouvoirs politiques et économiques.

II est d’ailleurs intéressant de constater que dans la quête d’amélioration de la marche démocratique, certaines plateformes ont fait des propositions réclamant la mise en place comme critère pour être élu député la possession de diplômes universitaires. Cette proposition s’inscrit pourtant contre le principe même de la démocratie et renforcerait au contraire son caractère élitiste. En effet un individu dont les parents feraient de la politique dans les conditions actuelles bénéficiera d’une meilleure éducation et pourra à priori prétendre plus aisément à occuper le même rôle politique dans la société. Nous aurions alors un système « dynastique » excluant une partie de la population. Une personnalité comme l’ancien syndicaliste et Président Brésilien Lula n’aurait jamais pu être élu dans un système similaire.

  • Des partis politiques peu démocratiques

Enfin, la question du fonctionnement des partis politiques et des relations qu’ils entretiennent avec les populations est une illustration supplémentaire de l’échec de la démocratisation du Mali. Leur fonctionnement est vertical, clientéliste et semi-autoritaire. Ils sont coupés des populations mais aussi des militants.

En effet, les partis sont organisés autour d’une élite (là aussi le pouvoir de l’argent est présent) supposée représenter les militants de base, lorsqu’ils existent. Dans la pratique ces derniers ne sont que rarement consultés, uniquement en période électorale. Ils ne disent mot dans la définition de la ligne politique du parti, et les tentatives rares d’organisation de primaires ont surtout été marquées par des arrangements internes entre ténors.

Les acteurs du système démocratique au sein des partis ne sont plus perçus comme des représentants des populations mais comme une noblesse dans l’Etat avec laquelle elles entretiennent des rapports d’argent. La marche démocratique qui exclut la population et la recherche de l’intérêt collectif a nécessairement débouché sur un système instable et contesté continuellement.

  • Conclusions

Ce système aux apparences démocratiques, a un impact négatif sur la manière dont les lois sont appliquées, l’acceptation des décisions du gouvernement et la responsabilité politique des élus par rapport à la société civile. Dans ces conditions il est difficile de pouvoir bénéficier des progrès promis par la révolution de 1991.

Pour parer à ce désintérêt plusieurs expérimentations sont possibles. La démocratie participative locale permet de consulter les populations sur des sujets d’intérêts et permet de renforcer leur participation à la vie de la cité, de recréer du lien entre les institutions et les citoyens. Le sujet étant de ne pas consulter les populations sur des décisions déjà arrêtées, mais qu’elles soient entendues réellement.

Avec le développement des nouvelles technologies il est tout à fait possible d’imaginer des mécanismes allant dans ce sens. Concernant les élections on doit s’intéresser à d’autres modes de scrutin et notamment le vote unique transférable. Ce système favorise une meilleure représentation proportionnelle des minorités et contourne la mainmise des partis politiques. Il polisse également les coalitions opportunistes que les partis politiques bâtissent pour conquérir le pouvoir et auxquels l’électeur doit adhérer ou s’abstenir. Cela veut également dire la fin du régime semi-présidentiel pour un régime parlementaire. Il a ses inconvénients aussi comme la possibilité d’une instabilité parlementaire.

Il nous faut trouver des mécanismes qui améliorent la qualité de la démocratie et pour cela il faut promouvoir de nouvelles pratiques, qui changeront les rapports entre citoyens et représentants. La transition est donc le lieu de réfléchir à toutes ces réformes.