Les transitions politiques n’ont pas changé l’histoire du Mali

On les appelle Président de la transition, Vice-Président de la transition et Président du Conseil national de la transition. Les organes mis en place au lendemain de la chute de Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) ne laissent planer aucun doute, le Mali serait bien dans une nouvelle transition politique après celles de 1968, de 1991 et de 2012.

On peut entendre par transition politique “un intervalle entre un régime politique et un autre”.  On distingue 4 types de régimes politiques, un totalitaire (Nazis par exemple), un autoritaire (Chine, Iran, Corée du Nord etc…) et un libéral (Canada, Suisse…). A ceux-là s’ajoutent les régimes hybrides qui oscillent entre démocratie et autoritarisme. 

The Economist Intelligence Unit’s Democracy Index

En 1991 le Mali est passé d’un régime autoritaire à un Régime à priori démocratique. D’ailleurs le pays a longtemps été présenté comme le champion de la consolidation démocratique. C’est à partir de 2008, en même temps que Hong Kong, que le pays a rejoint le groupe des régimes hybrides. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il s’agissait d’une démocratie libérale entre 1992 et 2002.

La transition de 1991 a abouti à un coup d’Etat en 2012 celle qui a suivi également mené à un coup d’Etat en 2020. A y regarder de plus près, on retrouve dans la gouvernance du regretté Amadou Toumani Touré et de IBK les mêmes éléments, à savoir le clientélisme politique, le népotisme, la mauvaise gouvernance, le manque de justice et surtout une personnification des Institutions. Le pays n’a jamais atteint la phase de consolidation démocratique, l’hybridité finissant toujours par s’imposer.

Si l’on veut analyser les échecs des transitions, on doit s’interroger sur les actions des acteurs de plusieurs catégories. D’abord la Communauté internationale, cette dernière a une mauvaise lecture du concept de transition politique qui a dans les faits une portée limitée pour elle. En l’occurrence parler de transition politique permet au mieux d’accorder une certaine légitimité/légalité aux nouveaux acteurs politiques locaux et autorise les différents intervenants de la coopération internationale à poursuivre leurs actions. La finalité pour eux ne se trouve pas dans les reformes politiques fondamentales, mais dans l’élection d’un Président et d’une Assemblée nationale.

Pour les élites locales de 68 à nos jours, une transition politique est un lieu de lutte pour la conservation ou l’accession aux pouvoirs politiques et/ou économiques. Une avancée sur la gauche peut conduire à des reculades sur la droite. L’adaptation est la valeur cardinale, il faut maintenir le statu quo tout en donnant l’impression de bouger.

Pour les populations, les transitions sont annonciatrices d’espoir, elles sont pour beaucoup la fin d’un calvaire et la possibilité d’écrire une nouvelle page des relations entre gouvernés et gouvernants. Pour les élites locales qui récupèrent les dividendes politiques de l’exploitation des colères de la population, il n’est pas envisageable de les laisser influer sur le processus. L’échec de 2012 est en partie dû à ce resserrement de la transition autour des élites, qui comme on l’a dit plus haut ont plus d’intérêts à maintenir un statu quo.

Concernant la transition de 2020 et avec 5 mois de recul, on peut noter qu’elle n’est pas foncièrement différente de celle de 2012, les discussions sur la reforme Constitutionnelle ou sur la Loi électorale ne peuvent constituer en aucune façon une remise en cause d’un système hybride. L’urgence sécuritaire, les intérêts des élites et le poids de la Communauté internationale ont de nouveau peser.

La « lumière » est en quelque sorte venue des débats qui ont eu lieu en France après la mort tragique de cinq de leurs soldats. Sans reforme politique majeure est-il imaginable d’instaurer l’autorité de l’Etat sur des territoires où il est contesté depuis plusieurs décennies? Le fait que ces aspects politiques aient été négligés au détriment du militaire explique ce sentiment d’enlisement. La transition politique aurait pu par exemple constituer le lieu de dessiner un consensus national y compris avec ceux des groupes extrémistes qui seraient prêts à discuter.

Reconnaissons qu’il n’y a pas une stratégie universelle permettant de conduire à une transition politique, mais il vaut mieux tirer les leçons des expériences passées et éviter de reproduire les mêmes erreurs.

Après tout le mouvement perpétuel est pour certain un rêve qui n’en finit pas.

Mali: nos challenges méritent des réponses structurelles

Les contestations politiques au Mali mises en exergue par les manifestations de ces dernières semaines sont un épisode de plus dans l’histoire tumultueuse du Mali. Il serait dommageable de ne pas affronter ces défis et de nous contenter de mettre la poussière sous le tapis et faire l’autruche. Pour trouver des solutions à cette énième épisode nous devons à mon sens prendre en compte sa dimension certes hautement politique, mais également une économique, qui est le grand absent des divers débats actuellement en cours.

Il est important sur le plan politique d’interroger le processus de consolidation démocratique au Mali. Les critères d’évaluation sont nombreux, on peut retenir l’ancrage de l’Etat de Droit, une bureaucratie fonctionnelle et l’absence de clientélisme institutionnel. Partant de là il est aisé pour chacun de constater des failles dans l’émergence d’un Etat de droit, la présence d’un clientélisme institutionnel et des difficultés pour la mise en place d’une bureaucratie efficace permettant de mettre en œuvre la vision des pouvoirs publics. Nous pouvons donc arriver à la conclusion que la consolidation démocratique a connu des ratés depuis 1991.

On remarque par ailleurs, dans le détail que les Institutions se sont recroquevillées sur elles-mêmes ne servant plus que les intérêts de petits groupes et se coupant des populations. Cela a conduit à une situation de contestation forte au cours de la dernière décennie. A cela est venu se greffer en toute logique l’affaissement de l’Etat que certains qualifient de faible, fragile ou de faillit. Ce qu’il faut retenir c’est qu’il ne remplit plus son rôle régalien.

Sur le plan économique le « Plan de développement économique et social » (PDES) du Président ATT ou encore la politique socialiste du Président Alpha Oumar Konaré se sont heurtés à plusieurs défis aussi bien internes qu’externes. Sur le plan interne ces politiques ont été plombées par un manque de vision et une définition claire des objectifs à atteindre, ainsi que par la corruption et la mauvaise gouvernance. Sur le plan externe nous avons été entrainés dans un cycle de libéralisation et de mise en pratique de politiques décidées par des technocrates à Washington apposant des recettes inadaptées à notre économie.

Ainsi nous avons basculé dans la désindustrialisation, la destruction d’emplois stratégiques et l’ouverture de nos marchés sans filet de sécurité pour les producteurs locaux. La conséquence est que nous ne parvenons pas à réduire le chômage des jeunes, à faire émerger une classe moyenne (capable d’influencer positivement la politique nationale) malgré des chiffres macroéconomiques flatteurs.

Ainsi si nous amoncelons des défis politiques caractérisés par un déficit d’institutionnalisation et des défis économiques caractérisés par un manque de vision stratégique et de résultats en matière de lutte contre la pauvreté et le chômage insuffisants.

Il est difficile pour le moment de savoir quelle sera l’issue de cette énième crise, mais il est impératif que nous apportions des réponses à ces défis pour continuer à exister en tant que pays et pour aller vers la construction d’un avenir commun. Répondant à la fois à la crise politique et économique nous participerons à apporter une réponse à la crise sécuritaire.

Ce travail de réflexion et de reconstruction profond doit aboutir à une doctrine solide identifiant des objectifs clés en fonction des moyens locaux. Il doit être porté par les intellectuels, la société civile, les leaders religieux, coutumiers mais aussi par les hommes politiques. Il ne doit souffrir d’aucune instrumentalisation politique, les enjeux étant cruciaux.

Nos challenges méritent des réponses structurelles.